Marchés et denrées dans l’art
Patrick Rambourg
Historien des pratiques culinaires et alimentaires, auteur de « L’Art et la table ».
L’apparition de la nature morte marque un tournant dans l’histoire de la représentation alimentaire. C’est une mise en valeur de la nourriture au travers de sa production et de son abondance. Les artistes veulent montrer la richesse du monde et signifier que la terre est la mère nourricière des hommes, à une époque d’essor démographique et d’intensification des échanges commerciaux, notamment dans les anciens Pays-Bas, qui deviennent, dès le XVIe siècle, l’une des régions les plus prospères d’Europe. Les peintres se mettent ainsi à représenter le cycle de l’alimentation dans sa totalité, depuis le choix des denrées jusqu’aux produits transformés. Le public étant, en même temps, de plus en plus demandeur de scènes réalistes et de sujets du quotidien.
Pieter Aertsen (1508-1575), qui naquît à Amsterdam et qui séjourna à Anvers, fut l’un des principaux initiateurs des scènes de marché. Les aliments deviennent dès lors des sujets de peinture à part entière. Le bon achalandage témoigne de la richesse d’une ville, d’une région ou d’un pays. L’abondant poisson, que l’on peut observer sur nombre de tableaux, comme ceux de Frans Snyders (1579-1657), n’est également pas anodin dans un contexte où le christianisme joue un rôle important dans les manières de s’alimenter. La consommation de la viande se fait également plus conséquente à des époques où elle est encore une denrée précieuse. Dans les années 1582-1583, Annibal Carrache peindra la Grande boucherie et moins d’un siècle plus tard Rembrandt élaborera son Bœuf écorché. L’art témoigne de l’évolution du goût et des préférences alimentaires. La mode des légumes et des fruits chez les élites, alors que les légumes furent longtemps considérés comme une nourriture du pauvre et du paysan, transparait dans les œuvres des artistes qui y prêtent une attention de plus en plus grande. La valorisation et la variété des végétaux incarnent la fertilité de la nature, mais aussi la sensualité gourmande avec La Fruitière (vers 1580) de Vincenzo Campi.
Les marchés et les denrées dans l’art
Patrick Rambourg
L’art et la table